Ou « l’IAM », l’interdiction
administrative de manifester !
Un petit point juridique s’impose autour de ce rapport remis le 21 mai
dernier qui a fait buzz tout juste une petite journée dans ce grand pays des « Droits
de l’Homme » et des « Libertés » qui est le mien (et que j’aime
tant…).
La liberté de manifester relève, en droit « Gaulois », d’un
régime dit « de déclaration préalable
». Autrement dit, on peut exercer sa liberté après avoir déclaré son intention …
de l’exercer, auprès des autorités compétentes, en l’espèce la préfecture de
police à Paris (ou la mairie en province).
À Paris, « l’Autorité » se méfie du peuple plus qu’ailleurs,
depuis même avant que la Cour de l’ancien-régime ait déménagé à Versailles.
En soi, ce régime de déclaration préalable ne constitue pas une atteinte à
la liberté d’expression, principe admis dès 1979 par la Cour européenne des
droits de l’homme, dans une décision Rassemblement jurassien c. Suisse.
Dans la réalité, ce régime ne concerne que l’occupation du domaine public
par les manifestations : On ne peut pas occuper de la sorte les voies de
circulation automobiles sans autorisation, même tacite, préalable. En revanche,
on peut occuper les trottoirs sans même déclaration préfectorale.
Sans en demander l’autorisation…
Naturellement, « avec », c’est mieux.
C’est le décret-loi du 23 octobre 1935 (Gouvernement de Laval, déjà !)
toujours en vigueur, qui a instauré le principe d’une déclaration auprès du
préfet de police par les organisateurs entre trois et quinze jours avant la
date prévue de la « manif’ ».
Cette déclaration doit mentionner l’objet, le lieu et l’itinéraire de la
manifestation. Ce même décret-loi de 1935 autorise l’autorité de police à
prononcer l’interdiction quand elle estime que « la manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public »
(art. 3).
Cette possibilité d’interdiction conduit généralement à une négociation,
notamment sur le jour et l’heure du rassemblement, le service d’ordre,
l’itinéraire du cortège revendicatif etc., toutes mesures permettant d’assurer
l’équilibre entre l’expression des manifestants (principe de la « libre
expression ») et les nécessités de l’ordre public.
Or, tous les spécialistes du maintien de l’ordre le savent déjà depuis
longtemps : Les manifestations ont profondément changé dans les années
récentes.
Les acteurs ne sont plus les mêmes.
Les services d’ordre parfaitement organisés et expérimentés de la CGT (de
vrais « pros », encartés, rémunérés, prélevés sur les effectifs des
électriciens-gaziers la plupart du temps sur … leur temps de délégation
syndicale ! C’est le consommateur électrique qui paye au compteur, TVA et
diverses contributions en sus…), sont moins nombreux et de plus en plus de
rassemblements ont lieu sans service d’ordre structuré.
Parfois même, des manifestations n’ont pas d’organisateurs au sens du
décret-loi de 1935.
Les forces de police et gendarmerie qualifient ainsi de « Nouveaux rassemblements de personnes »
(NRP) les manifestations initiées sur les réseaux sociaux, qu’il s’agisse de
mouvements revendicatifs, de « Flash-mobs » ou d’apéro-géants…
Le régime de déclaration ne peut donc être mis en œuvre et la protection
de l’ordre public repose alors sur l’efficacité des services de renseignement.
Et après la destruction du renseignement sur le territoire par la réforme « Bling-bling »
en 2008, certains se félicitent et saluent ainsi la création du Service central
du renseignement territorial, par le décret du 9 mai 2014.
Pour ma part, ce que j’en pense n’a strictement aucune importance :
Faire et défaire, c’est le propre des « autistes ».
Et puis ces services n’ont pas pu empêcher les attentats du 7 janvier
dernier…
C’est juste un constat de pur fait.
Enfin, les manifestations se déplacent de plus en plus sur le territoire.
Les « ZAD » (Zones à défendre) sont généralement des territoires ruraux
qui imposent aux forces de l’ordre des évolutions tactiques parfois « hasardeuses »
comme a pu nous le démontrer l’histoire du deuxième aéroport de la ville de « Air-Eau »
alors premier ministre.
Quant à ceux qui se qualifient eux-mêmes de « zadistes », ils ne
provoquent qu’une atteinte indirecte à l’ordre public, leur principal mode
d’action consistant à occuper illégalement des terrains privés ou publics.
Ces évolutions des manifestations suscitent évidemment celles du maintien
de l’ordre qui ne se font pas sans difficultés.
Je me souviens pour ma part du refus des forces de l’ordre (des CRS
invités par le Préfet pour exécuter une ordonnance en référé du tribunal
voisin) d’intervenir pour libérer les accès d’une usine bloquée par des grévistes :
C’est à discrétion de « l’Autorité ». Raison invoquée : Les risques « du trouble à l'ordre public » !
C’était dans une autre vie : On a récupéré l’essentiel des machines
et des camions de livraison le week-end suivant, en douce et sans violence (il
y avait un match de foot à la télé), pour pouvoir livrer dès le lundi matin et
sauver la boîte avec la complicité de nos fournisseurs, le tout délocalisé sur
un autre site.
Une semaine de boulot pour organiser tout ça : J’étais jeune et un « kon-superbe » à
l’époque !
Il a fallu la mort tragique de « Rémi-Fraîche » en décembre 2014
sur le site du barrage de Sivens (voulu par tous les locaux unanimes à l’époque),
atteint d’un tir tendu d’une grenade « offensive » pour que la « représentation
parlementaire » s’empare, dans « son immense sagesse », du
problème à en faire une commission d’enquête spécifique.
Notez tout de suite qu’une grenade-offensive fait du bruit, mais ne
présente, en principe, aucun danger : On en use en manœuvre « offensive »
et il n’est pas question de mettre en danger les troupes à l’assaut.
Donc ne pas confondre avec une grenade « défensive » qui elle, a
pour but de causer des ravages dans les rangs « offensifs » par
fragmentation d’éclats multiples (les fameuses grenades « quadrillées »…
à l’intérieur, parce qu’à l’extérieur c’est interdit, pour être jugées « inhumaines » par
les conventions internationales admises sur la façon de se faire la guerre !)
À la suite desdits évènements, la Commission d’enquête demandée par le groupe
écologiste de l’Assemblée a attribué naturellement sa présidence à « Noël Sa-Mère »,
un des écolos qui siège encore au Palais des Bourbons avec leurs 5 % de votants
au plan national, grâce au soutien des « troupes-Soces-Autistes ».
Le rapporteur, « Pascal Pop-lin », est quant à lui justement
membre du groupe « soce-trisomique ».
Et alors là, grand délire passé à peu près inaperçu ! Car faute de
pouvoir relever un dysfonctionnement opérationnel, la Commission s’est tournée
vers la liberté de manifestation.
Jusqu’à la mettre désormais en danger.
Mais si !
Jugez-en : Même « Noël Sa-Mère », le président de ladite
commission, donc, a voté contre son rapport adopté par la Commission qu’il
présidait !
Hein, fabuleux les effets de la « trisomie-politique », non ?
Sur son site, il justifie cette décision en ces termes : « L’idée, après la tragédie de Sivens, était
de formuler des propositions pour que l’ordre public s’adapte au droit de
manifester et c’est l’inverse qui se produit ».
Un effet boomerang prévisible dans cette « dictature-dogmatique et
démocratique ».
Il espérait sans doute la mise en cause de l’action des forces de l’ordre
lors des manifestations autour du site du barrage et son espoir a été déçu,
notamment parce que les parlementaires n’ont pas constitutionnellement la
possibilité d’entraver une action en justice en cours.
Le nain !
De plus, et il faut le faire, la Commission loue « l’efficacité du maintien de l’ordre à la française » dont le
principe d’action consiste à n’utiliser la force que comme « ultima ratio », lorsque toutes les
procédures de concertation ont échoué.
L’objet n’est pas de neutraliser l’adversaire en le détruisant mais de le
disperser, méthode qui permet un retour à la normale le plus rapide possible.
Sur le plan de l’usage de la force par les gendarmes à Sivens, le rapport
ne formule ainsi aucune critique particulière, d’autant que le ministre de
l’intérieur a interdit l’usage des grenades offensives dès la mort de « Rémi
Fraîche » : Il ne reste plus que la bonne vieille matraque aux forces
de l’ordre !
Et elles ont appris à s’en servir…
Quant à l’enquête administrative de l’inspection générale de la
gendarmerie nationale, elle a conclu à l’absence de faute des fonctionnaires.
L’enquête judiciaire, quant à elle, est toujours en cours et la Commission
parlementaire ne peut évidemment pas intervenir dans son déroulement, comme
précisé ci-avant.
Faute de pouvoir relever un dysfonctionnement opérationnel, la Commission
s’est donc tournée vers l’analyse juridique de la liberté de manifestation :
Le piège pour la Liberté publique de l’expression de contrariétés-diverses
protégée par la constitution que tous sont censés servir et protéger.
Fabuleux, vous dis-je !
L’élément le plus original du rapport et aussi le plus médiatisé, en tout
cas le plus contestable, réside dans cette étrange proposition visant à créer
une procédure d’interdiction administrative de manifester, l’IAM.
Il s’agit, affirme le rapport, « d’interdire
à un ou plusieurs individus de participer à une manifestation sur la voie
publique », mesure prise dans un but de « prévention d’infractions ».
Personnellement j’observe d’emblée que cette mesure existe déjà…
Mais si vous dis-je !
D’une part, elle constitue une peine complémentaire à certains délits
commis durant une manifestation, notamment les violences aux personnes, les
détériorations de biens, voire la fabrication d’engins de destruction (art. L
211-13 du code de la sécurité intérieure).
Dans ce cas, la peine est prononcée par le juge pénal en même temps que la
peine principale, à l’issue de la procédure contradictoire qui a permis à
l’intéressé d’exercer pleinement ses droits (constitutionnels) de la défense.
D’autre part, la loi du 14 mars 2011 autorise le ministre de l’intérieur à
interdire le déplacement individuel ou collectif de supporteurs d’une équipe
dont la présence sur les lieux d’une manifestation sportive « est susceptible d’occasionner des troubles
graves pour l’ordre public » (art. L 332-16-1 code du sport).
Le 20 mai 2015, « Nanar Case-Neuve », dans un arrêté fortement
motivé, a ainsi interdit le déplacement de l’ensemble des supporteurs de
l’équipe de football de Bastia à Marseille.
Dans ce cas, il s’agit bien de « police administrative », mais
on note que cette procédure exceptionnelle est prévue par la loi et qu’elle
concerne des personnes qui se définissent elles-mêmes comme supporteurs et sont
donc clairement identifiables.
Le rapporteur parlementaire est bien conscient de la difficulté d’établir
un critère permettant d’identifier les « individus » susceptibles de se voir
privés du droit de manifester. Il propose donc de limiter « l’IAM » à
ceux qui sont déjà « condamnés comme
casseurs violents » ou « connus »
comme tels.
Or, dans le premier cas, l’IAM est inutile car il suffit que les juges
prononcent de manière plus ou moins systématique la peine complémentaire déjà
prévue par le code de la sécurité intérieure pour écarter le risque de
nouvelles violences.
Dans le second cas, on se demande d’où viendront les données permettant de
considérer qu’une personne est « connue
» comme « casseur violent ».
Le spectre de la lâche dénonciation n’est plus très éloigné.
Et la question n’est pas anodine, si l’on considère que l’intéressé se
voit privé de sa liberté de manifester par une simple décision administrative,
le juge judiciaire étant exclu de la procédure !
Le plus étonnant c’est qu’écartant ces questions, le rapport affirme la
régularité juridique d’une telle mesure.
L’analyse est cependant très lacunaire.
Il est peut-être utile de l’approfondir un peu, pour nuancer cet
optimisme.
Aux yeux du rapporteur, la décision du Conseil constitutionnel du 21
janvier 1995 fonde, à elle seule, la constitutionnalité de la mesure !
Or, cette décision porte précisément sur la peine complémentaire
d’interdiction de manifester prévue par l’article L 211-13 du code de la
sécurité intérieure.
Le Conseil estime qu’une telle peine « ne
porte pas atteinte au principe de proportionnalité des sanctions »,
mentionnant au passage qu’elle est limitée dans le temps à trois années.
Certes, mais le rapporteur oublie que le Conseil ajoute comme critère de
proportionnalité le fait que cette peine soit prononcée par le juge pénal.
Or, l’IAM est prononcée par le seul ministre de l’intérieur.
De plus, l’article 66 de la Constitution énonce : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire,
gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les
conditions prévues par la loi ».
Et dans sa décision du 16 juin 1999, le Conseil a clairement affirmé une
définition étroite du champ d’application de cette compétence judiciaire,
précisant qu’elle concernait le principe de sûreté, c’est-à-dire la situation
dans laquelle la personne n’est ni arrêtée ni détenue et dispose de la liberté
de ses mouvements.
On en a déjà causé à propos des militaires et des sanctions qu’ils
encourent en « casernant » d’office (mais je ne retrouve pas le lien).
Celui ou celle qui fait l’objet d’une IAM est privé de sa liberté de
circulation, d’autant que l’efficacité de cette mesure ne peut être garantie
que par des arrestations préventives ou des assignations à résidence.
On doit en déduire que la compétence du juge judiciaire s’impose et que la
constitutionnalité de l’IAM est bien très loin d’être acquise.
Le rapporteur affirme ensuite que l’IAM est conforme à la jurisprudence du
Conseil d’État, s’appuyant sur la décision « Dieu-a-donné » du 9 janvier
2014 qui avait affirmé qu’il « appartient
à l’autorité administrative de prendre des mesures de nature à éviter que des
infractions pénales soient commises ».
Dans l’affaire « Dieu-a-donné », il s’agit donc d’interdire de
manière préventive l’exercice d’une liberté.
On peut certes regretter que des parlementaires dont la mission est de
protéger les libertés fassent si peu de cas d’un régime libéral pourtant
solidement ancré dans nos traditions républicaines.
On peut aussi regretter qu’ils n’aient pas examiné avec un peu plus de
soin la jurisprudence du Conseil d’État.
Dans une seconde décision du 6 février 2015, également rendue à propos
d’un spectacle de « Dieu-a-donné », le Conseil est revenu sur son
ordonnance de 2014 et a sanctionné une interdiction disproportionnée par
rapport à l’atteinte à l’ordre public que le spectacle était susceptible de
provoquer.
Autant dire que la référence à la décision de 2014 est pour le moins « légère ».
Reste la question de la conformité à la Convention européenne des droits
de l’homme, question que le rapport n’envisage même pas !
Or, la Cour européenne exerce un contrôle de proportionnalité sur les mesures
de police privatives de liberté.
Dans un arrêt Austin c. Royaume-Uni du 15 mars 2012, la Cour a ainsi été
saisie des nouvelles techniques développées à l’occasion des différents G8,
consistant à créer une « bulle » autour de l’événement.
Mettant en œuvre le procédé du « kettling » (« mise en bouilloire »), les
forces de l’ordre britannique avaient retenu des manifestants altermondialistes
mais aussi quelques passants malchanceux, pendant sept heures à l’intérieur
d’un cordon de police. Cette pratique a néanmoins été considérée comme
proportionnée à la menace pour l’ordre public par la Cour européenne.
Cette jurisprudence est-elle transposable au cas de l’IAM ?
Sans doute pas, car le « ketlling » ne s’analyse pas comme une
interdiction préventive : Il concerne des personnes définies par leur
seule présence sur les lieux de la manifestation.
En l’état actuel du droit, il n’est donc guère possible d’anticiper ce que
serait la jurisprudence de la Cour européenne sur l’IAM.
Aux yeux du rapporteur, l’argument essentiel en faveur de l’introduction
en « Gauloisie des libertés » d’une telle procédure réside dans le
fait qu’elle existe déjà en « Belgique-royale » et en « Allemagne-avancée ».
Ah, le modèle teuton…
La première prévoit une « arrestation
administrative préventive », la seconde une « rétention policière ».
J’adore…
Le rapport présente ces législations comme des exemples, même s’il serait
peut-être utile de se poser la question quant au fond et à leur efficacité.
Pour le moment, ce rapport reste un rapport. Il ne reste plus qu’à espérer
qu’il subira le sort de la plupart des rapports.
Notez que c’est toute de même « très fort » que les « forces
de progrès » – c’est comme ça qu’elles se présentent – soient tellement
acharnées depuis plus de 2 ans à détruire par plaques-entières et successives vos
propres libertés !
Et sans que personne ne les boutent à grand coup-de-pied au kul !
Il y a un moment où « l’effet-boomerang » va leur revenir à la
tronche.
En attendant « Noël Sa-mère », c’est bien le cocu de l’affaire,
à se tirer une balle dans le pied de la sorte, je veux dire « aussi
sottement ».
J’admire la manœuvre.
Pas vous ?
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